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L’actualité a parfois de ces raccourcis étonnants. En ce début du mois de janvier, le sport automobile a établi ses quartiers en Argentine – comme c’était le cas il y a un quart de siècle lorsque la saison de F1 débutait au pays des gauchos – avec le départ du Dakar le week-end dernier, puis la quatrième manche du nouveau championnat de Formula E dans les rues de Buenos Aires samedi prochain. Et voilà qu’en plein milieu de cette semaine argentine, on apprend le décès de Jean-Pierre Beltoise, symbole du renouveau du sport automobile français il y a 50 ans.

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Jean-Pierre Beltoise au volant de la Matra 660 qu’il partageait avec François Cevert à Buenos Aires en 1971.

Le hasard a voulu que, lors d’un dîner durant la récente période des fêtes, je fasse la connaissance de Leopoldo Giunti. « Peut-être avez-vous connu mon cousin ? » m’a-t-il demandé. En effet, son cousin n’était autre qu’Ignazio Giunti, espoir de la Scuderia Ferrari tué lors des 1000 km de Buenos Aires en 1971 dans des circonstances particulièrement dramatiques. Giunti, qui avait débuté en Formule 1 sur la belle 312 B l’année précédente, s’était vu confier le volant de la nouvelle barquette 312 PB préfigurant la future réglementation en sport-prototype avec des moteurs limités à 3 litres de cylindrée dès 1972.

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Ignazio Giunti étrennait la Ferrari 312 PB en Argentine, un prototype dont il était chargé de la mise au point.

Jean-Pierre Beltoise participait à l’épreuve au sein de la puissante équipe Matra, au volant d’une 660 propulsée par le célèbre V12 à la mélodie si harmonieuse. Hélas, à la fin de son relais, la Matra de Beltoise tomba en panne d’essence et JPB entreprit de la pousser dans la légère montée menant vers l’entrée des stands. Un drapeau jaune était bien présenté aux autres concurrents, mais Giunti ne put l’apercevoir, ayant la vue masquée par la Ferrari 512M de Mike Parkes qui le précédait. Le bolide rouge lancé à pleine vitesse percuta la voiture bleue pratiquement immobile avec une violence inouïe avant de s’embraser aussitôt. Le malheureux Ignazio périt dans les flammes tandis que Jean-Pierre, complètement groggy, s’en était miraculeusement sorti indemne.

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La violence du choc et l’intensité de l’incendie n’ont laissé aucune chance au malheureux Giunti…

La responsabilité de Beltoise dans l’accident allait être soulignée par les autorités sportives, qui le suspendirent pour trois courses. Il en fut profondément meurtri car il était déjà à l’époque un chantre de la révolte sécuritaire, menée par Jackie Stewart au sein du GPDA (Grand Prix Drivers’ Association). Jean-Pierre quitta Matra à la fin de la saison 1971 pour rejoindre BRM, la glorieuse écurie britannique à laquelle il apporta une victoire de prestige dans le Grand Prix de Monaco en 1972. Ce succès rehaussa quelque peu sa réputation ternie lors du drame de Buenos Aires.

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Deux pilotes de talent étrangement réunis par un tragique destin.

« Avec le recul, on peut comprendre le geste de Beltoise tout en considérant qu’il s’agissait d’une initiative dangereuse, me confia Leopoldo Giunti pendant ce dîner. Les pilotes sont avant tout des compétiteurs et, en début de course, la perspective d’un abandon sur panne d’essence ne leur effleurait pas l’esprit. Bien d’autres auraient agi comme lui. C’était une autre époque, on ne mesurait pas vraiment le danger… » Paroles de sage. Ayons une pensée émue pour Ignazio Giunti, qui a rejoint le paradis des pilotes 44 ans avant Jean-Pierre Beltoise. Là-haut, ils vont pouvoir enfin s’expliquer et se pardonner.

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