La saison 1990 avait mal commencé pour Williams, dont le nouveau châssis FW13 n’était pas à la hauteur d’un moteur V10 Renault en pleine progression. Thierry Boutsen était monté sur le podium du premier Grand Prix à Phoenix, mais c’était sur la troisième marche aux côtés de Senna et Alesi, auteurs d’un duel resté fameux. Après une 5ème place de Boutsen au Brésil, Riccardo Patrese l’avait bien emporté à Imola, mais ailleurs ce fut le plus souvent des contre-performances à répétition. Quelques points ici et là (Thierry 4ème à Monaco, 5ème au Mexique, 2ème à Silverstone et Riccardo 5ème à Hockenheim), mais pas de quoi justifier le standing de l’écurie et l’ambition de son motoriste.

Williams recruta alors l’ingénieur Adrian Newey, père de la Leyton House, et décida de rappeler au bercail Nigel Mansell, barré chez Ferrari par l’arrivée d’Alain Prost. Au détriment de quel pilote ? Aucun n’avait démérité, même si Boutsen possédait un palmarès plus solide que Patrese (deux victoires sous la pluie au Canada et en Australie la saison précédente avec l’ancienne FW12C). Pourtant, Patrick Head ne jurait que par Riccardo, selon lui meilleur metteur au point. A la surprise générale, par un samedi surchauffé du mois d’août au Hungaroring, Thierry Boutsen signa la pole position en profitant d’un tour clair dans le trafic de fin de séance… Voilà qui n’arrangeait pas les affaires de Williams, car le soir même Patrese apposa sa signature au bas d’un contrat portant sur la saison 1991.

Le lendemain, sur ce circuit tortueux où les dépassements étaient réputés impossibles, Boutsen tint le choc en menant les 77 tours de course de bout en bout pour l’emporter après une chaude bataille avec son ami Senna. Sur le podium, les deux hommes se congratulèrent sincèrement. Je me souviens qu’en attendant la conférence de presse, j’avais récupéré la casquette Goodyear du vainqueur (que j’ai toujours) en surprenant la réflexion amusée d’Ayrton, sur le ton de la plaisanterie : « Je t’ai laissé gagné aujourd’hui, glissa-t-il à Thierry. Tu as vu à quoi ressemble le trophée du vainqueur ? Non, merci, tu peux le garder ! » Rien de vrai évidemment, car le Brésilien n’était pas du genre à offrir une victoire, fut-ce à son meilleur copain de paddock, mais il est exact que la faïence hongroise faisant office de coupe manquait de la plus élémentaire élégance…

Après les interviews, nous sommes redescendus au motor-home Williams et là, surprise, plus personne ! Frank et Patrick avaient mieux à faire, prendre l’avion en l’occurrence, l’écurie était donc aux abonnés absents pour célébrer un succès pourtant durement acquis. Seul David Brown, l’ingénieur de piste de Thierry, l’attendit dans le garage pour le féliciter et pour… excuser son team. Il fallut attendre mercredi matin pour entendre crépiter le fax dans l’appartement de Boutsen à Monaco et découvrir enfin un message de « congratulations » au goût amer. Williams avait choisi Patrese pour épauler Mansell en 1991, exit Thierry Boutsen, victoire ou pas. Sir Frank n’a jamais pris de gant avec ses pilotes : « Racing drivers? You just plug another one in« . Tout un programme.

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