Les Force India VJM10 ne se font pas seulement remarquer par leur couleur rose bonbon. Les performances de Sergio Pérez et Esteban Ocon ont renforcé la position de quatrième formation du plateau qu’occupe la petite écurie de Silverstone, dont le rapport budget/résultat est le meilleur du paddock depuis dix saisons.

LA VIE EN ROSE

Le temps, c’est de l’argent. En Formule 1, c’est aussi l’inverse : les dollars permettent d’acheter des dixièmes de seconde. Les écuries Ferrari, Mercedes et Red Bull possèdent les budgets les plus élevés et ont remporté tous les championnats du monde des constructeurs depuis 1999, sauf trois (enlevés par Renault et BrawnGP).

Derrière ces mastodontes, une formation parvient à jouer dans la cour des grands malgré un budget calculé au plus juste. Force India ne joue pas le titre, certes, mais en se battant aux avant-postes du peloton elle prouve que les dollars ne suffisent pas pour aller vite. Opérant avec le plus petit budget du plateau (estimé à 102 millions d’euros), elle devrait terminer au dixième rang si les finances décidaient de tout. Or, elle a terminé à la quatrième place au classement final des constructeurs l’an passé – devant Williams (119 millions de budget), McLaren (201 millions), Toro Rosso (114 millions), Haas (114 millions), Renault (171 millions) et Sauber (108 millions).

TRAJECTOIRES CROISÉES

Pour apprécier la montée en puissance de l’écurie basée à Silverstone depuis 2008, on peut la comparer avec la descente inexorable de McLaren sur la même période. Le graphique ci-dessus compare l’évolution des classements respectifs des deux équipes au championnat des constructeurs (indiquée par l’axe des ordonnées) sur neuf saisons.

Si Woking a payé le prix de châssis perfectibles en 2013 et 2014 (et de changements trop fréquents de philosophie) puis celui du choix du moteur Honda à partir de 2015, Force India, en revanche, a progressé pas à pas, de manière “incrémentielle” pour employer un anglicisme.

DES DÉCISIONS INSPIRÉES

L’amélioration des résultats de Force India au fil des ans s’est opérée à travers une série de choix stratégiques. En 2009, Vijay Mallya a décidé de remplacer le moteur Ferrari par un V8 Mercedes, et d’acheter à McLaren la boîte de vitesses et toute l’hydraulique. Socialement douloureuse (puisqu’elle imposa la fermeture du département chargé de concevoir et fabriquer la transmission), la décision a apporté des résultats. “Vijay et moi avons tenté d’expliquer le raisonnement à l’équipe, se souvient Bob Fernley, le team principal adjoint. Est-ce qu’une boîte McLaren est meilleure techniquement qu’une boîte Force India ? Oui. Est-ce qu’une boîte McLaren est plus fiable qu’une transmission Force India ? Oui. Est-ce qu’en externalisant cette activité nous serons plus rentables ? Oui. Dès lors, en quoi cette décision est-elle mauvaise ?”

En 2011, l’écurie crée un département “Pneumatiques” pour préparer le passage des gommes Bridgestone aux Pirelli la saison suivante. Deux ans plus tard, l’achat d’un nouvel ordinateur permet d’abandonner le service de CFD (pour “Computational Fluid Dynamics” ou mécanique des fluides numérique) alors peu performant du partenaire indien Tata et de disposer de 30 téraflops en interne.

Pour 2014, le trio Mallya-Szafnauer-Fernley, assisté du directeur technique Andrew Green, décide d’acheter à son motoriste Mercedes le train arrière complet. Un choix judicieux au moment de l’introduction du moteur hybride, où l’intégration des systèmes est primordiale, comme le suggère le graphique ci-dessous.

Comme on le voit, l’avancée de Force India se mesure aussi à l’aune des difficultés rencontrées depuis 2014 par Red Bull, dont le partenaire motoriste Renault a moins bien anticipé le passage aux V6 électrifiés.

En sous-traitant le train roulant, l’écurie peut concentrer ses ressources sur les leviers de performance les plus rentables : aérodynamique, suspension, etc. À Silverstone, l’usine fabrique le fond plat, le volant, la suspension et, depuis cet hiver, la monocoque. Le reste est sous-traité : l’ensemble moteur-transmission et hydraulique (à Mercedes, donc), le câblage, l’électronique, le fond plat, les pontons, le capot moteur… Dans le même esprit, l’équipe a choisi au début de l’année 2015 de louer la soufflerie Toyota à Cologne (capable d’accueillir des modèles à l’échelle 60 %) plutôt que de rénover son tunnel de Brackley.

Autant de décision stratégiques, qui paraissent, avec le recul, plutôt bien inspirées.

UN EFFET MERCEDES MAIS PAS SEULEMENT

On pourrait penser que le bond en avant récent de l’équipe tient à son moteur. Pourtant, la comparaison avec les résultats de Williams montre que les progrès de Force India doivent beaucoup mais pas tout à la suprématie du V6 hybride Mercedes. Sa courbe de progression est plus régulière, moins accidentée, que celle de Grove, signe d’une direction technique stable, qui sait où elle va.

Et demain ? Sans doute Force India a-t-elle atteint son apogée l’an dernier en décrochant la quatrième position finale – qu’elle occupe encore cette saison après huit Grands Prix. Grimper plus haut et monter sur le podium semble peu réaliste, surtout cette saison, où le coût du développement accéléré finira par favoriser les teams les plus fortunés. L’équipe, en tout cas, n’envisage pas de changer de politique :

“Dépenser 285 millions d’euros pour construire un châssis ne constitue pas un business model sérieux, affirme Fernley. C’est seulement valable pour un constructeur, qui dépensera sans compter pour gagner. Force India, elle, doit être attractive pour un éventuel investisseur. Vijay adore la F1, mais à un certain moment il voudra revendre l’équipe. Comment voulez-vous vendre Mercedes ou Red Bull? Qui peut se payer ce genre d’équipe, à part un grand constructeur automobile ? Ces écuries ne sont pas économiquement viables.

Est-ce que cela signifie que nous ne serons jamais capables d’atteindre la troisième place, voire mieux ? C’est peu probable, à moins de mettre en place un contrôle financier strict. Mais même un budget limité à 170 millions d’euros représente un million par semaine, juste en développement. Franchement, de quoi a-t-on besoin de plus? Pour moi, la Formule 1 doit être un exercice intellectuel, pas financier.”

”Small is beautiful”, la formule va comme un gant Force India, qui a fait de sa taille humaine un atout, loin des mastodontes, plus ou moins efficaces, que sont devenues les équipes de pointe au fil des saisons.

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