En exclusivité pour F1i, l’ingénieur Jacky Eeckelaert, qui a travaillé pour les écuries Jordan, Prost GP, Sauber, Honda et dernièrement HRT (avant de rejoindre cette année le championnat du monde FIA d’endurance) vous livre son avis d’expert sur les Grands Prix.

Aujourd’hui, il revient pour nous sur le Grand Prix d’Italie, remporté par Lewis Hamilton, qui a signé à Monza son troisième succès de la saison.

 Pérez parmi les grands

“Ce Grand Prix a été passionnant grâce à une lutte acharnée pour les places d’honneur. Derrière Hamilton, Alonso et surtout Pérez ont livré de solides remontées, ce qui est pourtant très difficile à Monza. C’est d’ailleurs seulement la dixième fois de l’histoire du Grand Prix d’Italie qu’un pilote partant d’aussi loin sur la grille (12ème) réussit à monter sur le podium : avant Pérez, il a eu notamment Johansson en 1986, Jones en 1977, Scheckter en 1974, Beltoise en 1970 (qui est d’ailleurs le grand témoin du dernier numéro de F1iMagazine) et Servoz-Gavin en 1968… Si ces deux podiums précédents pouvaient être sujets à caution (la pluie avait brouillé les cartes en Malaisie, alors que la dégradation inattendue des gommes d’Alonso et Vettel l’avait bien servi à Montréal), celui-ci confirme le talent d’un garçon qui a su battre Alonso et Button à la régulière, sans coup de pouce du destin, car même si Button n’avait pas abandonné, Sergio serait monté sur la troisième marche. Si sa stratégie (nettement plus inspirée que celle des Mercedes) l’a bien aidé, encore fallait-il l’exécuter sans commettre de faute. Croyez-moi : savoir préserver ses pneus tout en restant très rapide n’est pas donné à tout le monde.”

McLaren au-dessus de la mêlée

“McLaren a remporté sa troisième victoire d’affilée, ce qui ne lui était plus arrivé depuis 2008 (précisément entre la Grande-Bretagne et la Hongrie). Ce qui est significatif, c’est que la MP4/27 s’est révélée être la plus rapide sur trois circuits radicalement différents : à Budapest (un tracé à appui élevé), à Spa (où il faut moyennement d’appui) et à Monza (piste ‘low downforce’ comme on dit dans notre jargon). Comme Jenson une semaine plus tôt, Lewis a arraché la pole position et s’est enfui en creusant un écart impressionnant. C’est grâce à l’extrême compétitivité de sa monoplace qu’Hamilton occupe la deuxième place au championnat, alors que les autres pilotes qui l’entourent se sont plutôt distingués par leur constance : Alonso a inscrit des points à toutes les manches hormis Spa ; Räikkönen n’a pas gagné mais possède la plus longue série de Grands Prix dans les points (dix courses) ; Vettel n’a remporté qu’une seule épreuve mais est très régulier. On l’a déjà dit ici : ce championnat se jouera sur la constance.”

De l’importance de la fiabilité

“Dans mon analyse du Grand Prix de Belgique, je vous avais dit que la fiabilité allait commencer à entrer en compte. Sans manquer de modestie, je pense que Monza est venu confirmer cette analyse, avec un nombre relativement élevé de problèmes techniques : surchauffe de l’alternateur de Vettel provoquant une coupure du moteur ; panne de l’alimentation du V8 de Button (son troisième abandon mécanique de l’année) ; vibrations sur la Red Bull de Webber dégradant les pneus ; bris de suspension chez Vergne ; et soucis de freins sur la Force India de Hülkenberg. Chanceuse, Ferrari a été accablée de problèmes durant tout le week-end (de moteur puis de transmission le vendredi, puis une rupture de barre antiroulis samedi)… sauf dimanche ! On ne le dit pas assez : la Scuderia est la seule écurie à n’avoir pas connu de casse mécanique cette saison. Son dernier abandon date du Grand Prix d’Inde l’an dernier (suspension brisée sur la voiture de Massa).”

Alonso rejoint Senna

“Ce podium était le 80ème d’Alonso, qui rejoint Ayrton Senna à la troisième place, derrière Alain Prost (106) et Michael Schumacher (155). Il a fallu à Fernando 189 Grands Prix pour atteindre ce record, alors qu’Ayrton l’a fait en 161 courses. Si Fernando remporte ce championnat, particulièrement serré et aucune voiture ne domine constamment, il aura montré qu’il est un tout bon.”

Changer les règles ?

“Le week-end qu’a connu Jérôme D’Ambrosio montre qu’au fond, il n’existe plus de véritable pilote d’essais aujourd’hui. Auparavant, les troisièmes pilotes étaient entraînés, roulaient beaucoup et pouvaient remplacer les pilotes titulaires dans de bonnes conditions. Selon moi, le règlement sportif devrait être modifié pour donner du temps de roulage aux troisièmes pilotes. Pourquoi ne pas obliger les écuries à faire rouler leur pilote de réserve pendant au moins vingt tours le vendredi ? Ou pourquoi, même, ne pas réserver toute la première séance d’essais libre aux jeunes pilotes ? Cela permettrait aux écuries d’évaluer sérieusement les débutants (qui, roulant davantage, apporteraient plus d’informations – et plus rapidement – à leur équipe), mais cela améliorerait aussi la sécurité. Jérôme n’est pas sorti de la piste, il a signé des chronos en constante progression, mais tous les pilotes n’auraient pas eu sa sagesse ! Le danger est que les jeunes aillent au-delà des limites pour saisir l’unique chance qui leur est offerte. Tout le monde y gagnerait.”

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