Franchement, recruter deux pilotes qui n’étaient plus montés dans une Formule 1 depuis deux saisons, il fallait oser. Et les aligner face à des tandems aussi rodés que ceux formés par Vettel-Webber (quatrième saison ensemble), Alonso-Massa ou Hamilton-Button (côte à côte depuis 2010), ce n’était pas non plus gagné d’avance…

Et pourtant. La deuxième place de Kimi Räikkönen et la superbe prestation de Romain Grosjean à Valence le démontrent à l’envi : Éric Boullier, le patron de Lotus, a bel et bien réussi son double pari. S’ils ne sont pas encore montés sur la plus haute marche du podium (mais qui, en janvier, aurait osé nourrir pareille ambition, après une pénible campagne 2010 ?), les pilotes noir et or figurent régulièrement aux avant-postes depuis l’Australie, comme s’ils n’avaient jamais quitté un baquet de F1. Grâce à leur talent, qui tire la quintessence d’une E20 bien née, l’écurie d’Enstone occupe la troisième place provisoire au classement des constructeurs, devant Ferrari, excusez du peu…

La réussite de Lotus tient en bonne partie à la clairvoyance de son team principal quant au choix de ses pilotes (et à la confiance que lui accordent ses patrons Gérard Lopez et Éric Lux). Car le Français a pris ses responsabilités en passant outre le prétendu manque de motivation de Räikkönen et en remuant ciel et terre pour donner une deuxième chance à Romain Grosjean, qui apparaît comme la véritable révélation de ce début de saison… pour le paddock du moins. Car pour son mentor, c’était une évidence de longue date :

“Romain se qualifie bien, il a l’esprit d’équipe, il gère bien ses pneumatiques, il est bon en stratégie, a expliqué Éric Boullier à F1i. Je ne vais évidemment pas dire que c’est le pilote parfait, mais il apprend à chaque course, et surtout il ne commet pas deux fois la même erreur… Le voir aussi compétitif face à Kimi ? Ce n’est pas une surprise, car je le suis depuis longtemps. Cela dit, malgré des styles de pilotage assez différents, Kimi et Romain sont très proches en performances.”

Sa perspicacité dans l’évaluation d’un pilote, le manager français la tire sans doute en partie de son expérience d’ingénieur de piste. Diplômé de l’Institut Polytechnique des Sciences Appliquées (où il a étudié l’aérodynamique), il a commencé sa carrière en tant qu’ingénieur d’exploitation chez DAMS dans le cadre des programmes F3000 et Le Mans. En 2002, il devient ingénieur en chef chez Racing Engineering, où il occupe les fonctions d’ingénieur puis de directeur technique en Formula Nissan (future World Series Renault), notamment avec Franck Montagny. Cette intense proximité avec un pilote, telle que la vit un ingénieur de piste, Boullier confie à demi-mot qu’elle lui manque parfois, même s’il encadre aujourd’hui Räikkönen et Grosjean, chacun dans leur style.

Gérer la trajectoire professionnelle de pilotes fait d’ailleurs toujours partie du job du manager français (38 ans à peine), qui occupe depuis 2009 le poste de directeur de Gravity Sport Management (la société fondée par Lopez et Lux). C’est dans le cadre de ce programme de recrutement et de promotion de jeunes talents que Boullier avait repêché Grosjean fin 2010, avec la réussite que l’on connaît depuis — mais qui était loin d’être acquise à l’époque…

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