Figure respectée des Grands Prix, Paddy Lowe reste peu connu du grand public, malgré une carrière longue de presque trente saisons. Le directeur exécutif (technique) de Mercedes était donc l’interlocuteur idéal pour entamer cette série sur les grandes figures techniques du paddock.

 DE NOUVELLES LIMITES

La stabilité conduit à la nouveauté. Telle est l’une des lois paradoxales qui régissent l’univers de la Formule 1. Quand on suggère au directeur exécutif (technique) de Mercedes que la W07 porte sa signature sans doute davantage que sa devancière, moins innovante sur le plan aérodynamique, Paddy Lowe fait profil bas, sans surprise :

“C’est vraiment un travail d’équipe, nous explique Paddy Lowe. Cette créativité provient d’une multitude de sources au sein de l’équipe, à Brackley et Brixworth. Paradoxalement, ce à quoi vous pousse un règlement stable, c’est à un haut niveau d’innovation. Pour continuer à progresser, il faut creuser en profondeur, aller dans le détail. Je tire mon chapeau à l’équipe pour avoir réussi à relever ce défi. C’est exactement ce que nous avions demandé aux ingénieurs il y a un an, parce que nous savions qu’il allait être compliqué de trouver des dixièmes avec des règles stables. Je suis particulièrement fier des solutions que nous avons trouvées dans la zone du fond plat, notamment le déflecteur [fractionné], qu’on appelle en interne le ‘floor W’.”

Il ne faut pourtant pas se fier à la réserve de celui qui entama sa carrière en F1 en 1988 chez Williams. Derrière les yeux bleu gris et les sourcils broussailleux de ce diplômé en ingénierie de Cambridge se cache un ingénieur à la créativité hardie, qui fit de l’écurie de Grove un pionnier des assistances électroniques au pilotage. Avec Steve Wise, il conçut la suspension active et l’antipatinage, qui aidèrent Nigel Mansell et Alain Prost à remporter le titre mondial en 1992 et 1993. À la tête du département R&D chez McLaren l’année suivante, il imagina avec Mika Häkkinen les manettes d’embrayage au volant, développa les freins à assistance électronique et mit au point les freins directionnels, rapidement interdits.

© XPB Images et Williams

© XPB Images & Williams

À l’époque, les ingénieurs pouvaient “plonger […] au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau” (soyons lyriques, citons Baudelaire), car le règlement technique laissait, plus qu’aujourd’hui, place à l’invention.

“Aujourd’hui, l’ingénierie a atteint un tel niveau de sophistication en F1 que si vous accordez au règlement la moindre parcelle de liberté, nous n’aurons aucun mal à l’exploiter presque immédiatement, ce qui n’était pas le cas jadis. Quand je travaillais dans les années 1980, c’était même le contraire. À l’époque, la technologie utilisée en F1 était à la traîne par rapport à celle qu’exploitait l’industrie aéronautique ou même automobile. Ce n’est qu’en 1990 que nous avons installé une unité de contrôle électronique sur les F1, alors que les avions en étaient équipés depuis des années. C’était une question de ressources, les équipes étaient plus petites. Quand j’ai commencé ma carrière en Grand Prix, Williams comptait une quinzaine d’ingénieurs : maintenant, il y en a quatre cents. Ce passage d’une F1 limitée par la technologie à une F1 bridée par le règlement s’est produit il y a dix, quinze ans.”.

La réglementation toujours plus contraignante des Grand Prix ne constitue cependant pas le seul frein à l’innovation, notre interlocuteur en sait quelque chose. En 2011, en pleine vogue des diffuseurs soufflés, McLaren avait imaginé des tuyaux d’échappement en forme d’éventail. Une solution prometteuse sur le papier, mais qui dut être abandonnée avant même la manche inaugurale, faute d’être suffisamment robuste. L’un des premiers chantiers de Lowe chez Mercedes fut d’améliorer la fiabilité des Flèches d’argent – talon d’Achille des bolides de Brackley en 2014 – tout en développant de nouvelles idées. Un exercice idéal pour un funambule ayant les pieds sur terre.

“Nous poussons les ingénieurs à innover, en fixant parfois des objectifs de performance, mais nous gérons aussi le risque. C’est une chose que je surveille constamment: non pas le niveau d’innovation mais comment le risque est calculé. Vous pouvez vous méprendre sur des nouveautés parce qu’elles sont trop radicales, hors sujet ou qu’elles ne produiront pas les gains escomptés. Trouver ce juste équilibre est l’une des tâches clés de la direction technique.”

© Mercedes

© Mercedes

Réagir à cet article