Figure du paddock qu’il arpente depuis 1981, Pat Symonds est l’artisan du redressement de Williams depuis 2014. Ingénieur de piste d’Ayrton Senna chez Toleman, avant d’être la cheville ouvrière des titres mondiaux de Benetton puis de Renault, le Britannique raconte à F1i l’évolution du métier de directeur technique, notamment à la lumière des défis posés par le règlement de la saison prochaine.

FORMES LIBRES

Trente-cinq ans à chasser les dixièmes de secondes. Si on accepte l’idée que la Formule 1 est une course contre le temps, alors on trouvera en Pat Symonds l’un de ses plus fidèles athlètes. Un coureur de fond à la vocation précoce. Initié à la compétition automobile par son père, qui l’emmenait sur le circuit de Snetterton, le petit Patrick suscita les rires moqueurs de ses petits camarades lorsqu’il expliqua à son professeur que son futur métier consisterait à dessiner des voitures de course. Les mêmes railleries visèrent son condisciple John Village quand celui-ci avoua son ambition de devenir pilote de course. Dix ans plus tard, en 1979, un certain Village remporta le championnat de Formule Ford européen au volant d’une Royale RP26 dessinée par un certain Symonds.

Savoureuse, l’anecdote souligne combien le cursus des ingénieurs a changé en trente ans. L’écolage dans les catégories inférieures, par lequel est passé le diplômé de l’université de Cranfield avant son grand saut en F1 chez Toleman, est un apprentissage que les jeunes ingénieurs ne peuvent plus suivre.

“Quand j’ai commencé en sport automobile, il existait un tas de formules de promotion dont le dessin était libre. J’ai dessiné des Formules Ford et des F3 différentes de leurs rivales, alors que les catégories équivalentes aujourd’hui sont des formules monotypes. Les jeunes ingénieurs ne jouissent plus d’une telle liberté avant d’arriver en Formule 1.”

“En outre, l’exploitation en piste était ma tâche principale, mais personne n’avait qu’un seul job chez Toleman et dans l’équipe Benetton des débuts. Rory [Byrne] et moi, on a fait toute l’aérodynamique de la voiture. J’ai même conçu le tapis roulant et étalonné la soufflerie. Je me suis aussi occupé de la suspension active. Mais pour cela, j’ai dû me former en électronique, j’ai donc créé le département IT, etc. J’étais à la fois l’aérodynamicien, l’ingénieur système, l’ingénieur de course, le responsable de la recherche et développement, etc. À l’époque, on pouvait faire des choses très variées, et je crois que cette expérience a fait de moi un directeur technique efficace”.

“Malheureusement, ce genre de carrière n’est plus possible aujourd’hui. Il n’y a plus que des spécialistes en Formule 1. Il est beaucoup plus difficile d’acquérir l’expérience nécessaire pour devenir directeur technique. C’est pourquoi nous avons lancé une sorte de programme de détection chez Williams. Nous tâchons d’identifier les futurs leaders, pour leur donner la formation dont ils ont besoin. Il faut préparer la prochaine génération : je veux pouvoir partir bientôt et passer du temps sur la plage ! (Rires) Nous devons trouver nos successeurs, même s’il y aura toujours dans l’équipe des ingénieurs expérimentés, beaucoup plus jeunes que moi !”

© XPB Images & WRi2

Avec Rob Smedley, Rory Byrne (2007), James Key, Nick Chester et Dave Greenwood (2013)  |  © XPB Images & WRi2

TOUCHE-À-TOUT

Polyvalent par la force des choses, Symonds a été tour à tour responsable de la recherche et développement (pour ses débuts chez Toleman en 1981), chargé de l’exploitation (à partir de 1982), ingénieur de piste d’Ayrton Senna (1984), aérodynamicien (sur la TG185, tout en épaulant Teo Fabi), électronicien (il reprogramma la puce du 4 cylindres BMW qui propulsait un châssis désormais peint aux couleurs de Benetton), père de la suspension active à Witney (1990), ingénieur de piste de Michael Schumacher (à partir de 1992), concepteur des quatre roues directrices sur la Benetton B193 (fin 1993), directeur technique (fin 1996), directeur de l’ingénierie de 2001 à 2009 (Benetton, puis Renault), consultant pour Marussia (à partir de 2011), avant de reprendre la baguette de directeur technique chez Williams en 2013 après sa mise à l’écart consécutive au « crash-gate » de Singapour en 2008. Au fil du temps que déroule ce parcours, le paddock s’est professionnalisé, spécialisé, poussant le directeur technique à être un coordinateur plus qu’un dessinateur :

“J’aime comparer le directeur technique à un chef d’orchestre. Le chef est capable de jouer de tous les instruments, mais pas aussi bien que chaque musicien. Par contre, il sait comment mettre le tout en musique, comment transformer des sons en une mélodie harmonieuse. J’ai moi-même joué dans l’orchestre, à différents postes, et c’est très utile pour savoir comment diriger ma baguette. La différence, c’est que le chef d’orchestre sait ce que la musique va donner à la fin du morceau, alors que les choses évoluent sans cesse en sport auto.”

“Une autre différence, en particulier dans une écurie comme Williams, c’est la dimension financière. Il faut absolument éviter de jeter l’argent par les fenêtres. Une bonne part de mon travail consiste à trouver les manières les plus rentables de courir, de développer la voiture. Je dois veiller à que nous tirions la quintessence de notre enveloppe budgétaire. On ne peut pas se permettre de dépenser des centaines de milliers d’euros sur un projet qui en fin de compte ne fonctionnera pas. C’est difficile de concurrencer les poids lourds. Face à un imprévu, on ne peut pas détacher quelqu’un du jour au lendemain, car tout le monde est déjà débordé, alors que chez Ferrari ou Mercedes, ils peuvent réallouer leurs ressources plus facilement.”

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Avec Michael Schumacher (1992), Fernando Alonso (2005) et Giancarlo Fisichella (1990) | © XPB Images & WRi2

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